LE COEUR
ET LES EMOTIONS
Le coeur, un organe indispensable pour ressentir des émotions ?
Vaincre la mort, Michel-Raymond Corniglion
Le livre Vaincre la mort a été publié en 1986. Il s'agit du témoignage d'un chirurgien français alors âgé de trente-sept ans qui a subi une transplantation cardiaque en 1981. Ce témoignage nous permet de mieux comprendre comment la greffe peut être vécu, de voir ses progrès, mais aussi de répondre à la question concernant cette partie, "est-il possible d'avoir des émotions sans coeur?".
1. L’œuvre
Michel-Raymond Corniglion est né en 1944. Il est père de deux enfants et est l’auteur du livre. Il est emmené d’urgence à l’hôpital car il souffre d’insuffisance cardiaque terminale, il ne parvient plus à respirer de façon normale. Malgré son état, il reste optimiste et dit lui-même « il faut toujours sourire, même le cœur douloureux ». Le chirurgien sait qu’il ne va pas vivre encore longtemps, et il connaît déjà la date de sa mort qui sera le 14 mai, le jour de son anniversaire. Cependant, au début, il ne pense pas à la possibilité d’une transplantation cardiaque, mais cette occasion va s'offrir à lui. Lorsque sa femme, Maïté, lui en parle, il ne croit pas à la réussite de cette opération car les greffés de cœur vivent très peu après, le corps rejette l'organe qui est inconnu pour lui. Le docteur Corniglion va tout de même subir cette greffe du cœur. Il va donc la vivre en tant que malade, mais aussi en tant que professionnel : il sait ce qu’il va lui arriver mais aussi comment cela va se dérouler. Sa femme, qui est également du domaine de la médecine, sera là à ses côtés pour l'accompagner dans les différentes épreuves. Au cours du livre, il nous décrit chaque étape, du début de sa maladie jusqu’à sa guérison. La maladie de Corniglion va d'abord se traduire par son insuffisance cardiaque, il va devenir très faible. Son état s'aggravera très vite, l’opération doit se faire en urgence. Il pense pouvoir bénéficier de trois semaines de vie en plus. Son opération est donc prévue pour le 14 mai. Il espère au moins pouvoir vivre jusqu’à ce jour.
2. La greffe et son rétablissement
Le docteur Corniglion est atteint d’une importante insuffisance cardiaque terminale. Il voit son état se dégrader très rapidement, et voit donc un ralentissement progressif de ses principales fonctions: il manque d’air, n’arrive plus à manger, il est en sous poids et ne parvient plus ou très peu à bouger, le moindre geste lui demande un grand effort et l’essouffle. La dernière solution qui s’offre à lui est la greffe de cœur. Cette opération se déroulera le 14 mai. Le docteur Corniglion sait qu’il ne pourrait pas vivre plus que ce jour si une transplantation cardiaque n’était pas possible. A cette époque, la greffe se pratique très peu et les chances de survivre suite à celle-ci sont faibles. Grâce à cette transplantation, il craint de ne pouvoir vivre seulement trois semaines de plus car ensuite, l’organisme du greffé fabrique des anticorps contre l’organe afin de le rejeter. La veille du 14 mai, il apprend qu’il va pouvoir se faire opérer et avoir un nouveau cœur. Il ne réfléchit pas très longtemps, c’est « la greffe ou la mort », il accepte la transplantation qui est pour lui « l’ultime intervention ». Pour une meilleure compatibilité, il faut trouver le meilleur cœur compatible greffable. Pour cela, le groupe sanguin du receveur doit correspondre avec celui du donneur, et il faut aussi que la taille et le poids du donneur et du receveur soient similaires. Le docteur Corniglion explique que dans son cas « la chance de « trouver un cœur » dans un délai aussi court était statistiquement d’une sur dix mille ». En effet, lorsque le patient est atteint d’une insuffisance cardiaque aiguë, il y a très peu de cœurs disponibles.
Le déroulement de l’opération débute avant le retour du chirurgien qui va effectuer la transplantation . Il est allé chercher le nouveau cœur afin que le temps d’ischémie, c’est-à-dire le temps d’arrêt de la circulation sanguine du cœur, soit le plus réduit possible. Le docteur commence par ouvrir le thorax. La circulation sanguine du patient est extracorporelle, il s’agit d’une pompe mécanique. C’est alors lorsqu’elle fonctionne que le cœur peut être retiré. Le chirurgien pourra ensuite greffer le nouveau cœur. Les médecins doivent être coordonnés pour un bon déroulement.
Après sa greffe de cœur, le Docteur Corniglion a dû rester à l’hôpital afin de se rétablir le mieux possible et de reprendre ses fonctions vitales. Suite à l'opération, c’est au bout de trois semaines que le rejet de l’organe inconnu peut avoir lieu. Cela préoccupe beaucoup M. Corniglion, mais il ne veut pas abandonner, il veut lutter contre le rejet « la pensée d’être vaincu me devient intolérable ». Probablement grâce à son courage et sa détermination, il dépasse cette épreuve. Grâce à l’aide d’un kinésithérapeute, il retrouve vite ses mobilités et se renforce.
Après être rentré chez lui, le docteur Michel-Raymond Corniglion a pu reprendre toutes ses activités, et ainsi vivre une vie comme une personne normale, entouré de sa femme, ses enfants et ses proches. Il retrouve le plaisir de vivre avec un cœur qui fonctionne parfaitement et profite au mieux de la vie.
Aujourd’hui, il est toujours en vie. Cela fait près de 34 ans qu’il vit avec le cœur d’un autre. Il est le plus ancien greffé cardiaque du monde.
3. Les émotions au travers du livre
La lecture du livre nous permet de répondre à la question « est-il possible d'avoir des émotions sans cœur? » au travers de l’expérience du Dr Corniglion qui a vécu, d’une part avec un cœur très malade, ne pouvant continuer de le faire vivre, et d’autre part avec le cœur d’une autre personne. Lors de ces deux périodes, on constate que son activité émotionnelle est forte, il ressent beaucoup d’émotions.
Tout d’abord, avec son cœur malade, ses émotions sont nombreuses et liées à son état, comme la peur, la colère, l’angoisse. Son cœur va mal, ainsi que son corps. Tout s’éteint sauf son cerveau, il lui permet de continuer à ressentir les émotions. En particulier quand il est au plus mal il écrit: « Mon cœur, énorme maintenant, presque inanimé, ne semble fournir que de faibles battement […] Il me semble que la vie se réfugie dans le dernier bastion de liberté que constitue le cerveau. Grâce à lui, je peux encore m’évader de ma chambre. Je rêve au mois de mai, à la campagne, au jardin, aux premières fraises de la saison, à la doucette que je ramassais dans le potager de mon père, à l’odeur de l’herbe fraîchement coupée. ». Le cerveau ainsi lui permet, par ses souvenirs et son imagination, de revivre des émotions passées. Ici, il retrouve des émotions heureuses pour trouver du réconfort. Il y a la sérénité, la joie et la songerie.
Après la greffe, dès son réveil, les émotions sont présentes avec le soulagement d’être vivant et l’espoir de pouvoir reprendre sa vie normalement, mais aussi la crainte du rejet du nouveau cœur provoquant de la peur et de l’angoisse. Plus tard, lors de son rétablissement, il éprouve beaucoup de plaisir à retrouver une vie normale et en étant en pleine santé. Il dit: « Il m’arrive alors une chose impensable, inimaginable, fantastique même: je réalise que je viens de respirer ainsi pour la première fois de ma vie! Je ne peux vous décrire le mélange de plaisir et d’émotion que je ressens à être comme tout le monde, de pouvoir aller et venir sans crainte d’étouffement. […] Soudain, j’éprouve l’immense contentement d’être devenu normal. »
De plus, tout au long du livre, Maïté, sa femme est à ses côtés pour l’accompagner. L’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre est constamment présent, et ne change pas. Il va aider le Dr Corniglion dans ses épreuves.
Comme le dit le Dr Marion dans la préface du livre: « la tradition poétique du cœur siège de l’âme », dans l'imaginaire littéraire, le coeur est l’endroit où se passent les émotions. Cependant, le cœur est un organe vital, il est essentiel à la vie, et ce n’est pas lui qui crée les émotions, mais le cerveau. Tant que celui-ci fonctionne, les émotions aussi, bien que le cœur soit artificiel ou un cœur malade. Les émotions sont présentes tout au long de la vie. La greffe ne change pas les émotions, ni la façon de ressentir les choses et de penser.
Nous avons eu la chance de rencontrer le Docteur Denizeau qui a accepté de répondre à la question: Après avoir subit une greffe de coeur, les nerfs qui assurent la liaison entre le coeur et les émotions fonctionnent-ils toujours, est-il encore possible de ressentir les effets de ces émotions ?
Il nous a expliqué qu'il existe un système nerveux intrinsèque propre à chaque organe, qui lui permet de fonctionner, ces parties du système nerveux ne sont pas retirées lors d'une greffe. Cependant il existe aussi un système nerveux extrinsèque qui est parfois retiré lors d'une greffe, et qui va, se reconstituer. Le Docteur Denizeau nous a également rappelé que les émotions se situent principalement au niveau du cerveau et qu'une greffe ne peut donc pas supprimer la sensiblité.